Le Président Gamal Abdel Nasser rencontre deux Rois de Grèce
Le Président Gamal Abdel Nasser rencontre deux Rois de Grèce
Texte © Ioannis Kallianiotis, sauf indication contraire.
Commençons par examiner les relations de la Grèce avec l'Égypte et les Grecs qui y résidaient, de 1805 à 1952.
Dans ces relations entre l'État Egyptien et l'élément grec, de Mohammed Ali à nos jours, il y a toujours eu certaines ambiguïtés.
En tant que Pacha d'Égypte, soucieux du développement du pays, il fait appel à ses amis commerçants d'origine grecque, menés par son ami personnel Michail Tositsas. Sous la pression de la Sublime Porte durant la révolution grecque (1821-1827), il envoie son fils Ibrahim massacrer le Péloponnèse. Parallèlement, il prétend ignorer que les Grecs d'Alexandrie rachètent leurs compatriotes réduits en esclavage sur les marchés aux esclaves en Egypte.
Depuis environ 1864 et l'établissement de la deuxième dynastie Royale en Grèce, la richesse des Grecs d'Égypte a augmenté de façon exponentielle et s'est déversée en Grèce dans des oeuvres, qui rivalisaient en éclat et utilité avec ceux d'autres expatriés Grecs de Russie ou de l' Europe centrale.
Lors des guerres balkaniques de 1912-1913, les successeurs de Mohammed Ali n'ont pas empêché les Grecs d'Égypte de sortir du pays et de s'enrôler comme volontaires contre l'Empire Ottoman.
Plus tard, l'Empire Ottoman s'allia aux puissances d'Europe centrale lors de la Première Guerre mondiale, et de nombreux membres de la dynastie Khédiviale d'Égypte, formés militairement en Allemagne, combattirent à leurs côtés. Le Khédive d'Égypte fut remplacé par les Britanniques en raison de son soutien à l'Empire Ottoman.
La Grèce, en revanche, après la grande division du pays entre Royalistes et partizans de Vénizélos, se retrouva du côté de l'Entente. Tout cela préfigura les divisions au sein des classes dirigeantes durant l'entre-deux-guerres, période préparative de la seconde guerre qui éclaterait en 1939.
La Seconde Guerre mondiale verrait les Britanniques devenir les suzerains de l'Égypte, et le pays accueilli leurs protégés.
Le premier membre de la dynastie de Grèce à visiter l'Égypte et ses institutions Grecques fut la Reine Olga, alors Reine mère, en 1914. Bien sûr, elle avait eu bien plus tôt des contacts avec des bienfaiteurs Grecs d'Égypte, qui contribuèrent de manière significative à son œuvre caritative, Georgios Averoff étant certainement le plus éminent.
La Reine Olga, fervente chrétienne, visitait fréquemment les prisons. Constatant la corruption des plus jeunes détenus par les plus âgés, elle souligna la nécessité de créer des prisons séparées pour eux. Cette idée parvint aux oreilles de Georgios Averoff, qui finança les prisons de jeunesse « Averoff ». Il en fit don à la reine Olga en 1892, et celle-ci en céda la propriété à l'État Grec en 1896. Ces prisons devinrent par la suite tristement célèbres pour avoir accueilli des communistes et autres dissidents, et furent démolies en 1972, malgré leur indéniable valeur architecturale. À leur emplacement, à Ampelokipi, fut érigé l'Aréopage (Cour Suprême de Grèce).
La vague des partisans de Vénizélos (anti-Royalistes) a déferlé sur les Grecs d'Égypte et les a conquis (à l'exception notable du poète C.P. Cavafy), si bien que le prochain membre de la famille Royale visita l'Égypte qu'en 1936. C'était le Prince André (père de Philip, duc d'Édimbourg), qui atteignit même les écoles Grecques de Mansoura (fondées en 1925).

Puis vint la Seconde Guerre mondiale et la fuite en Égypte du gouvernement Grec et de la famille Royale.
Le Roi George II a résidé à Alexandrie et au Caire, avec des séjours intermédiaires à Londres, tandis que le Prince héritier Paul partagea son temps entre Londres, l'Égypte et l'Afrique du Sud, où son épouse Frédérica et leurs enfants étaient accueillis. C'est là que naquit leur troisième enfant, la Princesse Irène, et c'est là que nombreux autres membres de la famille, passèrent toute la durée de la guerre.
Le souvenir de l'Égypte et leurs liens avec la communauté Grecque les ont accompagnés toute leur vie. La Princesse héritière Frédérica et ses enfants sont restés liés à vie à la Reine Farida et à ses enfants.
Nous nous contenterons d'ajouter cette photo, toujours exposée dans un restaurant populaire d'Alexandrie, où deux dames ont retrouvé les saveurs de leur enfance.
La guerre est finie, mais pas les problèmes de la Grèce et de l'Égypte. La Grèce est de nouveau divisée, au point de sombrer dans la guerre civile, tandis que l'Égypte tente de se libérer du joug Britannique. Les guerres israélo-arabes débutent, la révolution de 1952 éclate, le canal de Suez est nationalisé et les fondements des communautés grecques s'effritent.
C’est là que réside en partie le début du grand traumatisme gréco-égyptien, avec le déclin des communautés grecques et leur départ d’Égypte, rarement dans de bonnes conditions.
Le comment et le pourquoi font encore l'objet de recherches par les historiens, et à mon humble avis, de manière incomplète.
D'après mes souvenirs d'enfant, je peux témoigner que ni chez nous, ni dans les milieux grecs de l'époque, la nécessité du changement de 1952 n'a jamais été remise en question, comme le charisme du Président Abdel Nasser ( Raïs ).
Au contraire, les méthodes et les échecs de son régime étaient mitraillées à chaque occasion, dans chaque discussion. Des méthodes tragiques de gestion, d'apprentis magiciens, avec des répercussions non seulement sur les communautés étrangères, mais surtout sur le pays-même qui nous accueillait.
Un savoir-faire précieux, associé aux méthodes de développement les plus modernes en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, ainsi que des ressources humaines de premier ordre, sont jettés aux poubelles et la structure productive du pays a stagné pendant longtemps.
Durant cette période, de 1957 à 1960, des rencontres gouvernementales eurent lieu entre la Grèce et l'Égypte. Konstantinos Karamanlis et Evangelos Averof-Tositsas, respectivement Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, se rendirent en Égypte, mais le fleuve – dans notre cas le Nil – ne revint pas.
C’est dans ce contexte que se sont déroulées les rencontres entre le Président Gamal Abdel Nasser et les Rois Paul et Constantin, représentants de deux mondes très différents politiquement et culturellement, mais aussi de deux peuples qui ont vécu ensemble pendant de nombreuses décennies et entretinrent des liens affectifs forts et indestructibles.
À cette époque, le Président Gamal Abdel Nasser cherchait à maintenir un équilibre entre l'Ouest et l'Est. Le Président de la Yougoslavie nouvellement formée, Josip Broz Tito, était présenté à tous comme une alternative crédible, une troisième voie entre les superpuissances.
Les couples Présidentiels Josip Broz et Jovanka Tito, Gamal et Tahia Abdel Nasser, en croisière sur le Nil. Extrait du livre « Nasser, mon mari », AUC Press
Le dirigeant Yougoslave flirte ouvertement, sur le plan politique, avec le Royaume de Grèce et sa famille Royale, ainsi qu'avec le Président Nasser et le « socialisme » Egyptien.
Nous ne savons pas qui en a eu l'idée en premier, mais lors de son deuxième voyage officiel d'Alexandrie en Yougoslavie, en 1960, à bord du célèbre yacht « Mahroussa » du Khédive Ismaïl, rebaptisé « Horreya » (Liberté), il fut officiellement invité en Grèce par le couple Royal et bien sûr par le Premier ministre Konstantinos Karamanlis.
Tahia Abdel Nasser raconte dans son livre autobiographique « Nasser, mon mari » (AUC Press) :
« Le chef de la sécurité s'est rendu à Athènes pour prendre connaissance des détails du voyage. Sur place, entre autres, l'officier du protocole l'a informé que la coutume en Grèce est que les hommes et les femmes portent une tenue de soirée pour les dîners officiels (queue-de-pie pour les messieurs et robe de soirée pour les dames). »
Le Président Nasser a répondu qu'il ne porterait pas de tenue de soirée et qu'il annulait sa visite.
Le roi Paul a répondu que le Président etait le bienvenu, quelle que soit la façon dont il choisirait de s'habiller, pourvu qu'il vienne en Grèce.
Tahia Abdel Nasser poursuit :
« La famille Royale, le Premier ministre et les membres du gouvernement étaient invités au dîner officiel et nous attendaient, alignés de part et d’autre, afin que, selon la coutume Royale, nous puissions passer au milieu. »
- Et si je prenais votre bras ?
— Alors, je serai très contrarié.
La Reine a reculé d'un pas, s'est placée à côté de moi et m'a dit en Anglais : « Alors je prendrai votre bras à la place de celui de votre mari. » Et nous avons avancé, étant salués de part et d'autre.
Nous en arrivons donc à la photo ci-dessus. Elle capte la gêne de la soirée. La Reine Frederika, à peine âgée de 42 ans, couverte de symboles Royaux, ressemble à une version agée de sa cousine, Élisabeth II: Quant à Tahia Abdel Nasser, de cinq ans sa cadette, réputée démodée en Égypte, elle a l'air d'une jeune fille fraîche et innocente lors d'une sortie au bord de mer. Les époux, d'ordinaire si charismatiques, semblent se demander : « Dans quel pétrin nous sommes-nous fourrés ? »
Le lendemain soir, le 8 juin 1960, un dîner officiel fut offert par le ministre des Affaires étrangères au Cercle militaire. Les invités officiels furent ensuite conduits au Théâtre National où un spectacle de danses folkloriques, donné en leur honneur par l'ensemble Dora Stratou, fut présenté.
Cette visite sera suivie, en Avril 1961, de celle du Prince héritier Constantin pour l'inauguration du spectacle « Son et Lumière » au Caire.
Le Président et Tahia Abdel Nasser, avec le Prince héritier Constantin, au Caire, le 14 Avril 1961.
Photo extraite du livre « Nasser, mon mari », AUC Press.
Le Prince héritier garde des souvenirs précieux de son enfance en Égypte (il a quitté le pays à l'âge de 6 ans). Il demande au président de rendre visite à la Reine Farida.
— Nous n'avons pas de Reine ici, répond le président.
-Je ne vous ai pas demandé si vous aviez une Reine, je veux juste voir la Reine Farida.
Il lui rendra visite à sa résidence où elle vit confinée, accompagné d'un ministre égyptien qui restera discrètement dans la voiture, tandis que les deux vieilles connaissances discuteront dans le jardin en l'absence de témoins et de microphones.
Le lendemain, il se rendra à Alexandrie et cherchera dans le jardin de son enfance l'arbre où il cachait ses petits « trésors ». Très probablement dans l'une des maisons Bénaki du Quartier Grec, où la famille du prince héritier Paul était hébergée à Alexandrie.
La famille du Prince héritier Paul devant la porte de l'église de l'Annonciation à Alexandrie (vers 1945). Photo C. Rittas. Extrait du site web Royal Chronicles.
Après cette photographie, je souhaite ajouter mon souvenir personnel d'une visite à l'atelier de Constantin Rittas en 1965, dans le but de se photographier en famille.
C'est là que le photographe, aujourd'hui disparu, exposait les photographies des enfants Royaux prises en 1945.
Rencontre de 1966
Suit un compte rendu bref et sélectif des événements relatés dans les 11 pages de format moyen que le Roi Constantin a consacrées au deuxième volume de ses mémoires « Sans titre », au sujet de son voyage au Mont Sinaï en Septembre 1966 et de ses rencontres avec le Président Nasser et l'Archevêque Makarios, Président de la Republique de Chypre .
Extrait du deuxième volume des Mémoires du Roi Constantin « Sans titre »
Cette visite eut lieu en Septembre 1966, à l'occasion des célébrations du 1400e anniversaire de la fondation du monastère Sainte-Catherine au Mont Sinaï par l'Empereur de Byzance Justinien.
Constantin avait demandé au Président Nasser de ne pas lui réserver d'accueil officiel, mais lorsque l'avion a survolé le Caire, il c'est aperçu qu'une garde d'honneur au complet était déployée. Il a alors demandé au pilote de faire quelques cercles afin de pouvoir s'habiller convenablement.
Le Président mit à sa disposition pour son déplacement vers le Sinaï son énorme hélicoptère de facture Soviétique. La méfiance entre les deux mondes était immense et Constantin déclara qu'il préférait utiliser un jeep pour pouvoir… profiter du désert.
Après douze heures passées sur les pistes au sable blanc, le Roi arriva poudré de la tête aux pieds au Monastère, où il fut accueilli par des prêtres vêtus de noir de jais, dont Makarios Archevèque de Chypre, Président de la République Chypriote.
Le Président l'aida à organiser son programme au monastère, qui comprenait l'offrande d'un présent aux reliques de Sainte Catherine. Le Président demanda à voir le présent : une rivière et une croix en diamants de la part de la Reine Anne-Marie.
- Mais n'est-ce pas de trop pour une sainte ? s'exclama Makarios!
- Que dites-vous ? répondit Constantin. Ce Monastère n'a pas vu de Roi depuis 1400 ans!
Voici la version la plus simple et plus humaine de l'histoire, telle que je l'ai entendue vers 1980 à Suez, de la bouche de Mme Sophia, qui tenait avec son mari français Gustave, l'Hôtel balnéaire « Bel Air » à Suez. Mme Sophia était en contact régulier avec le Monastère du Sinaï, préparant de délicieux gâteaux pour les anniversaires des moines. Elle communiquait également par téléphone avec Constantin, alors en exil à Londres, et ils échangeaient des nouvelles. Selon elle, Anne-Marie, 19 ans, était sur le point d'accoucher de son premier enfant. Le bébé était gros et l'accouchement difficile (Alexia en Juillet 1965). Elle aurait fait un voeu alors à Sainte Catherine, donc l'ex voto Royal).
Lors d'autres discussions, l'Archevêque Makarios demande au Roi Constantin d'intercéder auprès du Président Nasser.
-Bien sûr, à quel sujet ?
Vous savez que ma présence en Chypre entrave le règlement du problème Chypriote et j'envisage de démissionner. Le trône Patriarcal Orthodoxe d'Alexandrie, second en rang après celui de Constantinople étant presque vacant (le Patriarche Christophe, gravement malade, s'est éteint en 1967), je vous serais reconnaissant de soutenir ma candidature à la Présidence Egyptienne.
(L'élection Patriarcale d'Alexandrie alors organisée par l'assemblée dite cléricale-laïque, c'est-à-dire composée d'un certain nombre d'électeurs ecclésiastiques et laïcs, y compris des Arabes orthodoxes. Bien entendu, l'avis de l'État hôte de chaque Patriarcat était crucial.)
Connaissant très bien Makarios, Constantin répondit : « Je le ferai, mais vous devez en être absolument certain, car une eventuelle rétractation serait difficile à gérer. Réfléchissez-y dans le calme de notre séjour ici et dites-moi. »
Pour le retour au Caire, personne n'y a pensé deux fois. Ils ont utilisé l'imposant hélicoptère Présidentiel. L'Archevêque, doyen des chefs d'État, était en tête. Sur l'échelle de descente – l'hélicoptère était aussi grand que ça – il a cédé la place au Roi, en lui serrant la main : « Vous savez, j'ai changé d'avis ! » (À propos du Patriarcat d'Alexandrie).





